Nous avons été contacté par deux responsables associatifs. Ils ont été interviewés sur le manque d’animateurs cet été et les incidences dans certains centres. Déçu de l’article (La presse de la Manche, jeudi 30 mai 2019), ils nous ont demandé de diffuser leur avis commun.
Si nous ne sommes pas tout à fait d’accord sur certains points (comme le bénévolat historique ou l’évolution des formations), cet article a le mérite de montrer des points importants principalement sur l’encadrement des Accueils Collectifs de Mineurs. Les deux auteurs se sont présentés dans le texte ci-après :
» Vu qu’on parle de nous dans cet article/interview, il nous semble important de réagir, d’avoir un droit de réponse, d’autant qu’on le trouve bien pourri.
D’avance, désolés pour la mise en page… Facebook n’est pas encore au point à ce niveau.
L’OCLVO est une association d’Education Populaire implantée à Cherbourg en Cotentin, au bout du bout de la Normandie, le bras tendu (voire le poing) juste devant l’Angleterre…
Au bout de cette presqu’île, nous, Julien et Guylaine, tous deux coordonnateurs de cette association (accessoirement les deux seuls permanents), sommes entourés de 15 bénévoles et défendons le droit et l’accès aux vacances des enfants en organisant différents types de séjours (centre de loisirs, mini-camps et colos).
L’asso est née en 1959 (pas nous ! Quoique dans notre CA, nous avons André, qui a connu l’asso pour l’avoir fréquentée enfant et plus tard en tant que moniteur…. c’est lui le témoin de notre histoire….lui qui nous raconte comment c’était avant…. le bénévolat des moniteurs, les cars bondés d’enfants, les sorties ritualisées tous les vendredis…. lui qui nous a expliqué la création de l’OCLVO, les luttes des militants laïques de l’époque. Il a aujourd’hui plus de 70 ans et toujours un membre actif de l’asso !
Bref, nous puisons nos racines sur les mouvements laïques de l’Education Populaire…. et cela, pour nous, c’est politique ! Avec une volonté de transformation sociale toujours aussi affirmée aujourd’hui : l’égalité et la justice sociale pour tous, pour faire court ! Juste pour resituer qui nous sommes et d’où nous venons…
Dernière précision sur qui parle : nous sommes tous les deux BAFA, BAFD, DEJEPS et surtout nous avons tous les 2 fréquenté des colos lorsque nous étions enfants et en gardons des expériences mémorables…qui nous ont fait grandir ! Nous ne sommes donc pas là par hasard ! Et dans le cadre de nos missions, nous dirigeons régulièrement des séjours.
Pourquoi on s’immisce dans le débat ?
Parce qu’après avoir fait appel à des animateurs bénévoles (c’était encore l’époque où des instituteurs et des militants de l’Education Populaire encadraient des séjours), l’OCLVO s’est progressivement orientée vers le volontariat. Nos équipes sont depuis exclusivement constituées d’animateurs et directeurs volontaires, autrement dit de jeunes (pas de volonté discriminatoire, mais un simple constat) qui font le choix de s’engager sur un parcours BAFA (possible à partir de 17 ans) ou BAFD (21 ans). Le volontariat, rappelons-le, est cadré par un contrat spécifique : le Contrat d’Engagement Éducatif (en vigueur depuis 2006). Ce contrat mériterait certainement d’être revu, ses conditions d’application également mais c’est surtout la méconnaissance du volontariat, de son sens, la confusion avec l’animation professionnelle qui nous motive à nous exprimer. L’avenir du volontariat dans l’animation nous interroge également, et par extension, celui de l’OCLVO.
La situation de « pénurie » d’animateurs et de directeurs volontaires mentionnée dans l’interview n’est pas nouvelle. De notre côté, cela fait plusieurs années que nous alertons les services de la DDCS de notre département et les collectivités territoriales… sans aucun retour et prise de conscience…
Pourquoi nous continuons de défendre le volontariat dans l’animation?
Parce que nous souhaitons faire confiance à la jeunesse ! Un projet de vacances collectives d’enfants que l’on confie à d’autres… jeunes !
Parce que nous sommes conscients de leur implication, de leur énergie et de leurs capacités créatives !
Parce que les jeunes sont aussi capables de s’interroger sur des questions éducatives.
Parce que nous pensons cette expérience formatrice pour les animateurs, si elle est accompagnée (se confronter à la vraie vie : aux réalités sociales, au travail d’équipe, la relation parents etc).
Parce que promouvoir le volontariat, c’est non seulement défendre une vision altruiste de notre société mais c’est aussi réaffirmer que, non, l’appât du gain ne doit pas être une unique fin en soi.
Parce que certains animateurs volontaires sont sensibles aux projets de vacances que nous défendons pour les enfants.
Parce que l’animation volontaire permet de s’essayer, de se (ré)orienter et parfois de se découvrir une vocation, pour ensuite en faire son métier (avec un vrai diplôme professionnel).
Bien sûr, les indemnisations forfaitaires de nos équipes d’animation se répercutent sur nos coûts de séjours…. et tant mieux ! Et pour être honnête, les financements de la ville de Cherbourg y participent également, tout comme nos recherches de financements avec les « sacres saints » appel à projets ! Nous revendiquons des séjours accessibles pour tous, adaptés aux revenus des familles ! Condition indispensable pour rendre effective la mixité sociale ! Et nos tarifs, solidaires, en sont l’illustration :
-entre 13 et 97€ pour une semaine en centre de loisirs (repas/transport/forfait 5 jours en centre de loisirs) ;
-entre 23 et 172€ pour un mini-camp de 5 jours ;
-entre 114 et 400€ pour un séjour de 12 jours en colo.
Des séjours qui se veulent loin des tendances consuméristes actuelles : pas de catalogue d’activités, pas de prestations à outrance. Nous défendons, au contraire, les séjours centrés sur les relations, le vivre ensemble, le partage des décisions avec le groupe d’enfants, des projets à leur initiative etc.
Au fait en 2019, c’est quoi le BAFA et le BAFD ?
Ces formations non diplômantes et non professionnalisantes (il s’agit d’un brevet) ne sont pas accessibles à tous. Leurs coûts sont rédhibitoires pour nombre de personnes qui souhaiteraient s’y engager. De fait, elles sont aujourd’hui réservées à une catégorie de population plutôt aisée. Ce que nous regrettons et dénonçons.
Depuis quelques années maintenant, les grandes fédérations d’éducation populaire ont essayé de réduire les coûts de ces formations en développant la demi-pension et l’externat. Et pour continuer à être compétitifs sur le marché du BAFA (car il s’agit bien d’un marché !), les autres se sont alignées, chacun s’asseyant lamentablement sur beaucoup de valeurs et sur le sens même du BAFA !
Est-ce crédible de préparer des animateurs volontaires à la vie collective, aux relations entre les individus, à la vie quotidienne, à la réalité d’un séjour lorsque ces derniers vivent un stage en externat ? Sachant que certains candidats n’ont, eux-mêmes, aucune expérience de séjours collectifs de vacances…
Est-ce crédible de préparer des animateurs volontaires lorsque les formateurs n’abordent pas l’histoire du volontariat, le CEE, et le pourquoi de son existence ?
Est-ce crédible de préparer des animateurs volontaires sans parler d’Education Populaire, dont les fédérations qui organisent les stages se disent issues ?
Nous comprenons alors aisément le flou artistique qui entoure certains animateurs lorsqu’ils débarquent sur nos séjours.
Et là nous n’abordons pas la question du BAFD et de l’accompagnement des directeurs….
Comment ces personnes peuvent-elles prendre conscience de leur rôle, de l’engagement qu’implique le volontariat ??? Comment peuvent-ils alors faire la différence entre cet engagement et un autre travail « classique » ?
Les formations BAFA et BAFD seraient-elles devenues de simples usines à pognon pour fabriquer de la main d’œuvre sans réflexion ?
Voici une première chose que nous déplorons.
Pour ce qui est de la «pénurie» d’animateurs ET de directeurs volontaires, des explications sont possibles.
1) Pour nous, la baisse de la fréquentation des colos dites traditionnelles peut être mise en perspective. Les enfants et les jeunes sont de moins en moins nombreux à participer à des séjours de vacances. De fait, moins de jeunes ont l’envie et le souhait de partager leurs expériences en passant de l’autre côté de la barrière. Donc, moins de jeunes sur les BAFA !
2) La question des indemnités journalières, aujourd’hui omniprésente sur les réseaux sociaux (et dans l’opinion publique ?), est souvent le seul argument (cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas l’entendre) qui expliquerait cette « pénurie » d’animateurs.
Il s’agit bien d’indemnités et non pas d’un salaire en tant que tel. Ces indemnités marquent la reconnaissance et la valorisation d’un engagement.
La législation prévoit un minimum de 2,2 fois le SMIC (horaire) par journée travaillée. Les indemnités journalières chez certains gros organisateurs sont souvent identiques à ce minimum. Et on ne parle pas des stagiaires qui se retrouvent parfois sans indemnités. Pour plus de renseignements, vous pouvez contacter l’UCPA, ils sont rodés sur le sujet. Si l’on considère les prix auxquels sont vendus certains séjours, on pourrait s’attendre à des indemnités proportionnelles au prix de vente…
A l’OCLVO, nous n’avons pas à rougir sur le plan des indemnités que nous proposons. Un animateur titulaire perçoit entre 41 (centre de loisirs) et 46 euros brut par jour (séjour en colo). Un stagiaire entre 36 et 41 euros brut. Pour les directeurs, l’indemnité oscille entre 70 et 75 euros brut.
Nous participons aussi au remboursement de la formation BAFA (6,10 euros par jour en plus) et BAFD (7,62 euros par jour en plus). Ce remboursement s’effectue jusqu’à ce que nous atteignions 50 % du coût de la formation.
Il est bien évident que travailler 80 jours (maximum car c’est la loi) en Contrat d’Engagement Educatif ne permet pas d’assurer et d’assumer les charges de la vie courante. Il est impossible de vivre de l’animation volontaire (et par extension le CEE) car cela n’est tout simplement pas fait pour ça. Pour vivre de l’animation, il faut d’abord se former à un diplôme professionnel.
Et le sens dans tout ça ? Mais où est-il passé ?
Arrêtons-nous sur le développement des colos ultra consuméristes.
Attention, nous ne visons pas les personnes mais bien les organismes qui les mettent en rayons.
Celles-ci tendent à devenir la norme… et pourtant, nous les considérons comme vides de sens, sans projet à visée sociale. Juste un planning avec des prestations toutes plus attractives les unes que les autres ! Au regard de leurs prix, elles ne sont réservées qu’à une population aisée qui se retrouvent dans l’entre soi. On nous dira que ces séjours répondent à des besoins. Besoins créés par des grosses boîtes dont le seul intérêt est le profit… En quoi font-elles de l’Education Populaire ? Il est où l’intérêt général ? Et la mixité sociale ?
Puisqu’on assiste à une spécialisation, une commercialisation massive et accrue des séjours, ces derniers ont désormais une connotation uniquement mercantile. Des familles et des équipes pédagogiques choisissent aujourd’hui une colo de la même manière qu’un produit dans les rayons d’un supermarché !
Finalement, le sens, le pourquoi j’envoie mon enfant sur tel séjour ou le pourquoi je pars encadrer tel séjour… on s’en fout pourvu que j’en ai pour mon argent ou que je puisse m’éclater à faire du jet-ski ou du parapente. Attention, ce constat n’est pas général. Certains organismes continuent de défendre et développer des projets à visée politique (n’ayons pas peur des mots) avec la volonté de faire évoluer la société.
Tout cela posé, il est évident que chacun dans son petit coin n’aura pas de solutions à apporter. Où sont les grandes fédérations d’Education Populaire ? Quand vont-elles sortir de leur silence ? Quelles réactions des pouvoirs publics ? Il est urgent d’agir !
Et une petite touche de fin : pourquoi soutenir le SNU alors que les colos garantissent déjà un espace d’engagement qui a fait ses preuves. A-t-on envie de voir crever les colos émancipatrices au profit d’un système pseudo solidaire qui bride et enferme les personnes dans un moule ? «