2022 – 3 : Deux nouvelles démarches du Ministère en charge de la jeunesse concernant l’animation

Il y aurait eu les premières « assises de l’animation » entre novembre 2021 et janvier 2022. Elles ont réuni une cinquantaine d’organisations, employeurs et financeurs du secteur : Cnaf, associations d’élus, Fonjep, branche professionnelle, associations d’éducations populaires…

Selon le journal de l’animation, les organisations syndicales de salariés n’y ont pas été invitées (mais elles auraient été consultées). Au vu de certains points abordés, il aurait été intéressant que des parents d’enfants et/ou de jeunes soient associés, ainsi que les chercheurs du secteur professionnels dont beaucoup s’étaient déjà engagés sur le sujet par une lettre ouverte, il y a 9 ans et toujours d’actualité.

Tout d’abord, il faut soulever qu’il y a un vrai problème dans la compréhension des problématiques de l’animation. Les auteurs ont du mal à présenter leur « contexte » (p5).

Le deuxième paragraphe donne un très bel exemple : il parle de la « baisse tendantielle des BAFA » pour l’expliquer dans la phrase suivante « Trop de jeunes se détournent de ces métiers… peu valorisés, peu rémunérés, avec des temps de travail morcelés… ». Le ou les auteurs n’ont pas intégré que le Bafa n’est pas un diplôme professionnel (même si…). La plupart des personnes qui passent le Bafa veulent juste travailler pendant les vacances (et là, il n’y a pas de temps morcelés !). Cela commence mal, pour un renouveau !

Avec la page suivante « Vision et ambition », on découvre les limites de ce document.

Il y a d’abord un problème avec l’histoire. Les auteurs voudraient « redonner sens à la distinction historique et progressivement floutée entre animation professionnelle et animation volontaire ». Y aurait-il eu dans le passé une distinction entre animation professionnelle et animation volontaire ? Cette distinction aurait-elle été autre chose qu’un souhait jamais atteint ? Le monitorat puis le Bafa ont toujours été utilisé pour entrer dans le métier. Les diplômes professionnels sont apparus après, et celui qui aurait dû correspondre le mieux à la professionnalisation du Bafa était le Bapaat, diplôme des années 90, (donc tardif) et qui a été rejeté par de nombreux organismes formateurs (dont certains proposent maintenant des C.Q.P. A.P. !).

La deuxième limite est financière. On nous annonce 53 millions d’euros, pour les collectivités territoriales, 5 millions pour la formation Bafa et 4 millions pour la formation d’animateurs professionnels. Autrement dit, ce sont les communes et les centres de formations qui vont bénéficier financièrement du « renouveau de l’animation en ACM » ! Qu’en sera-t-il des associations organisatrices d’ACM ?

Le document présente ensuite les « 25 mesures pour le renouveau de l’animation en accueil collectif de mineurs ». Certaines sont intéressantes, certaines ne sont pas nouvelles et certaines sont surprenantes, voire dangereuses pour l’avenir. S’il est nécessaire de réfléchir et de prendre des décisions pour améliorer le secteur, il est à craindre une instrumentalisation en cette période électorale. Il est aussi à craindre que certains organismes « importants » (par la taille) du secteur n’hésitent pas en encourager des mesures pertinentes à court terme pour leurs structures, mais dangereuses à moyen terme pour le champ.

Plusieurs propositions méritent d’être discutées.

D’abord, il y a la création d’un Comité de filière Animation présidé par Yves Blein, député LREM, Président de l’Ucpa et de la fédération Léo Lagrange. Au moins, on est sûr qu’il n’a pas été choisi au hasard, et on pourrait déjà écrire les conclusions de ce comité, à moins que des contradicteurs compétents soient invités.

On assiste à ce manque de clarté entre des loisirs quotidiens, plus ou moins liés aux écoles et très majoritairement liés aux municipalités voulant une animation complémentaire à l’instruction avec la participation des animateurs aux conseils d’écoles, un peu plus de financement…

Se pose ensuite la (ou les) question de la formation des animateurs. Là encore, le constat reste le même. Le CQP animateur périscolaire sera financé pour 2 500 animateurs professionnels (qui seraient professionnels sans être qualifiés ?). Le projet prévoit aussi de restructurer la formation professionnelle, mais sans rien apporter de nouveau, juste en insistant sur le côté non professionnel du Bafa.

Il y a après un bloc de propositions sur la qualité des emplois qui reprend ce qui est dit depuis des années : aller vers des emplois à temps plein, avec des journées continues, en prenant en compte les temps de préparation… Il serait temps d’arrêter de discuter et de prendre des décisions.

La suite (les 13 mesures restantes) porte uniquement sur le Bafa, soit l’animation volontaire.

Concernant celle-ci, le Bafa deviendrait « un dispositif majeur de l’engagement des jeunes ».

Cette mesure prévoit notamment mais clairement des sessions d’approfondissement Bafa gratuites sur le thème de l’engagement citoyen « dans la perspective de l’encadrement du SNU ». On peut d’ailleurs s’étonner que le SNU soit cité dans plusieurs mesures, serait-il intégré dans les accueils collectifs de mineurs ? Serait-il devenu la référence (ou l’avenir) des séjours de vacances ? A quand l’uniforme obligatoire dans toutes les sessions Bafa (avec marcher au pas, le lever des couleurs….) ? Le Bafa SNU sera-t-il valable pour encadrer ensuite n’importe quelle colo ?

Le Bafa pourrait s’intégrer dans un « contrat d’engagement jeunes » avec des formations et des stages pratiques hors temps de congés pour les jeunes non scolarisés (on a commencé cela dans les années 1980, et c’est pour cela qu’il y a eu après le Bapaat). Il y aurait une aide de 100 € pour les volontaires du service civique, il y aura une information sur le Bafa dans les lycées et pendant le SNU (dont les encadrants sont « souvent titulaires du Bafa »).

La mesure 17 propose une campagne de communication pour célébrer le 50ème anniversaire du Bafa. Celle-ci va durer une année, d’où le début maintenant, le Bafa aura 50 ans en février 2023. Pour valoriser le Bafa, il y a un petit historique (toujours cette recherche de storytelling). Il m’est difficile de ne pas réagir, l’histoire du Bafa commencerait en 1970 avec la création des accueils de loisirs. Autrement dit, le Bafa n’aurait pas de liens avec les formations scoutes (dont on devrait fêter cette année le centenaire de la première formation française à Cappy), les formations des années 30 dont certaines ont abouti à la création des Cemea, les stages des écoles de cadres sous vichy, le diplôme de moniteur de colonie de vacances (que les auteurs font remonter à 1946, 1948 ou 1949, suivant les ministères en charge des colonies)… Est-ce de la méconnaissance de l’histoire ? Ou un document pré-électoral fait trop vite ?

La mesure suivante annonce une aide exceptionnelle de 200 € pour 20 000 jeunes (en stage d’approfondissement Bafa) mais uniquement pour cette année.

Ensuite cela concerne l’âge pour passer le Bafa. Il sera abaissé à 16 ans à partir de juillet 2022. Il ne s’agit pas que de passer le Bafa, l’objectif est aussi d’encadrer des enfants. 16 ans, ne serait-ce pas trop jeune ? Est-on assez mature pour s’occuper des autres ? Là encore, les années 80 sont riches d’enseignement. On pouvait commencer l’animation à 16 ans, mais on était aide-moniteur, et la réglementation en tenait compte, il fallait être accompagné d’un animateur. Le discours tenu au moment où le bafd est passé à 18 ans (prétextant que les 21 ans faisaient référence à l’âge – ancien- de la majorité, ce qui n’est pas exact !) ne fonctionne pas. Quel parent enverra ses enfants dans un séjour animé par des adolescents de 16 ans et dirigé par un jeune majeur de 18 ans ? Quels seront les employeurs qui prendront ce risque ? Le texte précise qu’il s’agit là de créer une continuité avec le SNU. Serait-ce là la raison de ce rajeunissement ?

Il y a ensuite la suppression du jury Bafa afin de valider plus vite (il parait qu’il y a un « désengagement de nombreux jeunes,…, qui renoncent à aller jusqu’au bout du processus, à cause de la date tardive du jury). Je doute que cela soit à cause de l’existence d’un jury qui pourrait se réunir plus souvent. Par contre, l’idée que pour avoir le Bafa, il suffit de payer… à une association, va surement se renforcer quand ce sera l’association formative qui attribuera le brevet.

Deux mesures suivent pour améliorer l’accès aux aides financières, ce qui est une bonne chose. Mais cela va se limiter à informer sur des sites internet qui existent déjà.

La mesure 23 contredit la mesure 19 ou pour être exact explique que la mesure 19 ne correspond pas aux attentes des employeurs. Elle précise que les animateurs les plus jeunes peinent à trouver des missions, car des « employeurs hésitent à leur confier la responsabilité d’encadrer des enfants ». Elle prévoit que le comité (mesure 1) supervise « la réalisation d’un vadémécum des bonnes pratiques » et qu’il travaille aussi sur la gratification des stages pratiques afin que celle-ci soit systématique, les deux points devant aboutir pour le 1er juillet 2023. Cela n’aurait-il pas dû être fait avant de permettre le Bafa à 16 ans ?

Enfin se pose la question de la rémunération des animateurs volontaires. Là encore, on justifie le Contrat d’Engagement Educatif (CEE) sans avoir compris pourquoi ce contrat existe. Ainsi le CEE se justifierait par « l’organisation du travail en centre de vacances et la prise en charge par l’employeur d’un certain nombre de frais (transport, logement, nourriture) ». Si c’était cela le motif, pourquoi ne signe-t-on pas le même contrat pour les personnels de service qui logent sur place ? Pour comprendre, il faut remonter à avant le Smig, quand les moniteurs pouvaient être bénévoles, ou avaient un petit pécule à la fin du séjour. Pour rassurer sur les montants à donner, certains organismes de formation proposaient des sommes minimales. Aujourd’hui, si on voulait donner un salaire horaire normal aux animateurs, cela couterait très cher surtout en tenant compte du nombre d’heures effectuées par jour. Si cela était obligatoire, il faudrait augmenter les tarifs des séjours déjà trop chers.

La mesure prévoir un contrat CEE « plus vertueux » en augmentant le minimum journalier et en le réservant aux séjours avec hébergement. Ce qui revient à dire qu’il faudrait le supprimer pour les accueils sans hébergement. Mais il existe des associations qui gèrent des accueils de loisirs sans hébergement (et qui ne sont pas en délégation de services public) comme certains centres sociaux ou socioculturels, comme des associations locales qui ne fonctionnent que les mercredis et surtout les vacances scolaires. Devront-elles fermer leurs ACM ? Et il y a des associations très commerciales, avec des dirigeants permanents très bien rémunérés, qui  vendent des séjours très chers à des non-adhérents… qui, elles, pourront signer des CEE pour leurs colos !

Pour finir, la dernière mesure porte sur la valorisation des compétences acquises dans Parcoursup, c’est-à-dire que le Bafa aiderait à entrer à l’université. Mais comme chaque université, chaque filière recrute selon ses propres critères, mettre une case Bafa ne servira à rien dans la plupart des cas.

En fait, il s’agit clairement de maintenir coûte-que-coûte le BAFA, en maintenant son prix et la possibilité de payer au minimum les animateurs en séjour avec hébergement. Tant pis si la plupart des colos disparaissent pour le bien d’organismes commerciaux.

Il faut noter que certains organisateurs de colos sont aussi habilités pour organiser des formations Bafa. Ils sont alors juge et partie, pour la plupart des propositions.

Pour aider le comité (qui ne nous invitera pas !), faisons quelques propositions :

  • au lieu d’aide au paiement d’une partie de plus du Bafa, augmentons les indemnisations de tous les animateurs (en faisant une prime payée par l’état pour chaque séjour encadré). On aura alors peut-être plus de personnes qui encadreront plusieurs années ;
  • au lieu de supprimer la possibilité pour les accueils sans hébergement de CEE (il existe des associations, au budget très limité, qui emploient des animateurs sur certaines périodes de vacances pour des accueils de loisirs), on pourrait interdire l’utilisation du CEE aux associations qui possèdent des entreprises, ou qui vendent des séjours très onéreux, ou dont certains salariés ont de très gros salaires… ;
  • on pourrait aussi interdire d’utiliser le CEE pour des accueils avec hébergement durant le temps scolaire.

Dire qu’il a fallu des assises de l’animation pour en arriver là ! La seule évidence dans tout cela, c’est que les décisions sont prises par des personnes ne connaissant pas le sujet. Il serait temps d’avoir des instances qui tiennent compte des expériences des uns et des autres sans imposer une idéologie erronée basée sur une non-connaissance du champ, sur la mise en évidence de réussites qui ne se développent que par ce qu’elles font disparaitre, sur des sondages et non des études… Bref, un peu de sérieux.

Et le lancement officiel de la 50ème année anniversaire du BAFA-BAFD avec la publication (en pdf) de « Les 50 visages du BAFA/BAFD », document présenté par Sarah El Haïry, secrétaire d’Etat, qui aurait été écrit avec le soutien des Céméa, CMJCF, Familles rurales, Fédération Léo Lagrange ; Ifac, Scoutisme français, Scouts et Guides de France, Ufcv.

On peut s’étonner de commencer à souhaiter un anniversaire… 1 an à l’avance. Il faut se demander pourquoi l’anniversaire du Bafa et pourquoi maintenant (cf réflexion sur la mesure 17)?

Il y a dans ce document 50 personnes titulaires du Bafa. Chacune est présentée par sa photo, son prénom, son nom et son âge. Il y a la date d’obtention du BAFA puis deux paragraphes : Pourquoi l’animation ? Et une anecdote marquante.

Pour 5 d’entre-elles, le métier est précisé (en fait le statut d’Elu), il s’agit de 4 députés et un maire (qui aurait eu le Bafa en 70, soit trois ans avant sa création !) : Carole Grandjean (LREM) ; Bertrand Sorre (LREM),  Gaël Le Bohec (LREM) ; Sandrine Mörch (LREM) et Jean Paul Carteret, Maire, (PS). On doit se demander si c’est pour montrer que de nombreux titulaires du Bafa deviennent des élus (cela fait partie des histoires que l’on se raconte depuis longtemps) ou bien si l’animation conduit naturellement à devenir LREM (un nouveau mythe ? Un arrangement politique de plus en cette période électorale ?).

Bref, encore un document suspect, produit avec la complicité de certains organisateurs… qui ne servira à rien !

J’en arrive à me demander si le ministère et certaines associations qui se revendiquent de l’éducation populaire, ne feraient plutôt référence à de la manipulation populaire !