Il est difficile de ne pas s’interroger à la suite des différentes annonces de ce mois de janvier 2019. Qu’est-ce que l’on veut faire faire à nos jeunes de 15-16 ans avec le Service National Universel (SNU) ?
Il ne s’agit pas ici de s’opposer au service national universel. Je cherche juste à comprendre de quoi il s’agit. Ce faisant, il n’est pas possible, à la lecture des différents textes, de ne pas mettre en évidence de nombreuses contradictions. Soit il faut modifier ce qui est prévu, soit il faut admettre dès maintenant que cela ne durera pas longtemps, car le dispositif, tel qu’il est écrit, ne peut pas fonctionner, n’en déplaise aux énarques.
Parlons d’abord du nom car il peut porter à confusion. Est-ce vraiment un service ? Si oui à qui est-il rendu ? Dans le service national (ou militaire), les jeunes consacraient un temps de leur vie pour rendre service à la nation, en la défendant ou en se préparant à le faire. Mais ici, est-ce à la nation que l’on rend service ou aux jeunes à qui l’on voudrait inculquer des « valeurs » ? Où est le service ?
Le mot National est clair, il précise qu’il s’agit de la France. Par contre le mot universel, s’il peut vouloir dire « tout le monde » et ici tous les garçons et toutes les filles, fait d’abord référence à l’univers. Il s’oppose nettement au concept de nation. Le choix d’un oxymore n’est pas gage de clarté, au contraire.
Pour essayer de comprendre, je vais d’abord voir ce que l’on sait de ce nouveau dispositif, de son encadrement, de la mixité, des locaux, de l’uniforme, des activités pendant le séjour… ; cela m’amènera à l’absence de pertinence du dispositif qui porte en lui-même les raisons de son échec futur.
Que sait-on de ce nouveau dispositif ?
Il s’agirait d’une sorte de service civil, bien différent de ce que les plus anciens ont connu sous le nom de service militaire ou de service national. Il est plus court, n’a plus pour objectif la défense de la France et ne concerne que des mineurs (avec ce dernier point, il ressemblerait au service militaire d’avant 1974) pour la partie obligatoire.
Il a 4 objectifs déclarés (relevés en janvier 2019 sur le site éducation.gouv):
- « accroître la cohésion et la résilience de la nation, en développant une culture de l’engagement ;
- garantir un brassage social et territorial de l’ensemble d’une classe d’âge ;
- renforcer l’orientation en amont et l’accompagnement des jeunes dans la construction de leurs parcours personnel et professionnel ;
- valoriser les territoires, leur dynamique et leur patrimoine culturel. »
Ce service est en deux parties :
- d’abord deux semaines (12 ou 15 jours suivant les textes) consécutives dont une au moins pourrait être pendant les vacances ;
- puis deux semaines d’engagement dans une association ou un service spécifique d’une administration, en une ou plusieurs fois.
Un rapport[1] a été écrit en 2018. C’est principalement sur ce texte que j’appuie mes réflexions, ainsi que sur les articles de presse parus les 17 et 18 janvier 2019 à la suite de la présentation du dispositif par le secrétaire d’Etat Gabriel Attal[2] le 16 janvier 2019. La présentation portait principalement sur la phase de test du dispositif.
Le site « éducation.gouv » nous a donné de plus amples informations fin janvier 2019.
Est-ce vraiment original ?
En fait, il a existé en France un service civil de 1940 à 1944 : les chantiers de la Jeunesse. Le dispositif a été inventé en urgence, après la défaite, par un Général, exerçant en plus des fonctions dans un mouvement de jeunesse. Le service durait entre 4 et 6 mois (suivant l’évolution du dispositif) et n’accueillait que des garçons. En plus de la vie en collectivité, les jeunes participaient à la « reconstruction » de la France par une production de biens ou de service suivant les chantiers. Par exemples, certains chantiers étaient spécialisés dans la fabrication de charbon de bois.
Parmi les effets de ces chantiers, dans le champ de l’animation (et/ou de l’éducation populaire), on peut rappeler que s’est posée la question de l’encadrement des jeunes. C’est ainsi que la capitaine Dunoyer de Segonzac a proposé, avant même l’ouverture des chantiers, la création d’une école de cadres pour former les encadrants. D’abord installée près de Vichy, cette école s’est rapidement éloignée pour devenir l’Ecole Supérieure de Cadres d’Uriage. Fermée fin 1942, elle a marqué de nombreux cadres de jeunesse et de l’éducation populaire de l’après-guerre.
L’encadrement
Selon le site Internet, il y aura « trois niveaux d’encadrement :
- niveau 1 « Tuteurs », Bafa, contrats éducatifs, chargés de la supervision de la vie courante du groupe ainsi que du lien avec les familles, un tuteur par « maisonnée » ;
- niveau 2 « Cadres », animateurs confirmés, opérateurs associatifs, militaires, gestion du centre, organisation des activités et des modules ;
- niveau 3 « Equipes de direction », fonctionnaires de l’éducation nationale et de la jeunesse ou du ministère des armées ; gestion des centres, SNU, finances, urgences ».
Voilà qui nous conforte dans l’idée de camps d’adolescents. Ce sont bien des animateurs qui vont encadrer, même si on va les appeler « Tuteurs ». Cependant, il ne s’agira d’animateurs professionnels, disposant d’une vraie qualification, mais de deux catégories : des titulaires du Bafa et des animateurs confirmés.
Qu’est-ce que le Bafa ? C’est un brevet formant des jeunes (on peut commencer la formation à 17 ans) à l’encadrement d’enfants en centres de vacances et de loisirs. Autrement dit, cela sert pour s’occuper des enfants pendant les vacances. L’animateur Bafa connait donc la réglementation spécifique aux vacances, des techniques pour animer des jeux, proposer des activités manuelles, chanter des chansons… Il a fallu des années pour que les pédagogues imposent aux animateurs le petit déjeuner échelonné, en partant du principe que tout le monde n’avait pas besoin du même temps de sommeil. Comment leur demander aujourd’hui un réveil au clairon à 7 heures du matin ?
Comme au moment du changement de rythme de l’enfant, il s’agit d’utiliser le Bafa (parce que la formation est courte, pas trop chère (pour l’état), qu’on le valide facilement, qu’on pense qu’il y a beaucoup de personnes titulaires et que de toutes façons, il y a des équivalences avec d’autres diplômes) hors de ses missions. Il reste à préciser que ce brevet n’est pas professionnel et qu’il ne correspond pas à un niveau de formation. Il est fait pour des personnes voulant travailler occasionnellement, comme des étudiants. Pour les animateurs professionnels, il y a d’autres diplômes.
Enfin, rappelons au gouvernement que le nombre de personnes validant le Bafa est en baisse depuis plusieurs années. Où va-t-il trouver des animateurs disponibles, surtout en période scolaire comme au mois du juin ?
Il faut noter déjà une différence avec ce qui était prévu dans le rapport qui souhaitait que les anciens jeunes puissent devenir encadrant… à moins que le gouvernement offre la formation Bafa ce qui les maintiendra au rang de base (les tuteurs).
On a déjà une certitude, contrairement à tous les discours sur l’emploi, le gouvernement prévoit de développer des C.D.D. (un titulaire du Bafa pour 10 appelés, ces contrats de 2 semaines…) bref de nouveaux saisonniers. Pire encore, il s’agirait de Contrats éducatifs, un dispositif particulier dans le champ de l’animation qui permet de ne pas payer les salariés avec un coût horaire, mais avec un forfait journalier. Autrement dit, l’Etat prévoit déjà que les encadrants ne gagneront même pas le salaire minimum. Cela ne va pas aider pour le recrutement.
La deuxième catégorie de personnels « les cadres » comprend des animateurs confirmés, des opérateurs associatifs et des militaires. Là cela devient surprenant. Pour être cadre, il n’y a pas besoin d’une qualification professionnelle. Juste un statut… donné par on ne sait pas qui. Qu’est-ce qu’un animateur confirmé et/ou un opérateur associatif ? Pourquoi ne pas demander des qualifications particulières ? Il en existe pourtant, validées pour la plupart par le ministère en charge de la jeunesse et ce serait bien la moindre des choses qu’il y ait quelques exigences de qualification pour ces personnes qui vont participer à l’« éducation de la jeunesse de France ».
Pour les militaires, la question est simple, c’est quelqu’un qui s’est engagé et qui a été accepté dans l’armée. Suis-je le seul à me demander pourquoi des personnes s’étant engagées pour défendre un pays seraient qualifiées pour encadrer des adolescents ? Les auteurs du rapport ont une approche spécifique : « L’efficacité souvent démontrée des méthodes militaires de formation à la conduite de groupe par les cadres de contact (non seulement pour la préparation très particulière au combat, mais aussi dans des missions à caractère strictement social comme celle du service militaire adapté et du service militaire volontaire) plaide pour qu’une partie au moins de la formation dispensée aux cadres puisse être assurée par les armées » (Rapport p 25). On fait souvent référence à l’ancien service militaire. Y a-t-il encore des personnes qui se souviennent de ce qu’elles ont vécu lorsqu’elles étaient encadrées par des militaires ? Rappelons ce que l’on a aussi appris à l’armée : le tabac, l’alcool, les chansons à boire… et la prison si tu n’obéis pas. Effectivement, le management militaire est de qualité ! Il n’est d’ailleurs plus certains que le management militaire soit toujours aussi souhaité dans les entreprises.
Peut-être que les militaires sont pensés indispensables pour apprendre à chanter la marseillaise et à marcher au pas. Là encore, il faut se rappeler que la Marseillaise est au programme de l’école primaire, donc normalement déjà connue (et souvent chantée au moins par les sportifs, par certains militants politiques…). Pour ce qui est de marcher au pas, on pourrait aussi le demander aux enseignants comme au temps des bataillons scolaires ou à certains mouvements de jeunesse qui le pratiquent toujours. Il reste cependant à voir quelle seront les chansons que les groupes de jeunes chanteront, tout en marchant. Va-t-on créer un nouveau répertoire ou se contenter des chansons existantes ?
La troisième catégorie de personnel est les « équipes de direction ». Seuls des fonctionnaires de l’éducation nationale et de la jeunesse ou du ministère des armées peuvent en faire partie. Là encore, pas de diplôme minimum, ni de grade. Que faut-il comprendre ? Que n’importe quel fonctionnaire sans formation ni expérience pourra diriger une centre ? Ces deux dernières catégories semblent bien peu précises. A qui veut-on confier nos jeunes ?
Il faut s’étonner de l’absence des éducateurs sportifs (ou des professeurs de sports). C’est pourtant eux qui devraient encadrer les activités sportives, comme la course d’orientation annoncée par le secrétaire d’Etat. A moins que là aussi, l’Etat ne s’arrange avec la réglementation !
Aucun doute, il s’agit bien de camps d’ados où l’Etat devient organisateur et impose les contenus (et probablement les lieux). Les jeunes subiront.
La question de la mixité des publics
La mixité des publics fait partie clairement des objectifs de ce service : « garantir un brassage social et territorial de l’ensemble d’une classe d’âge » cité par les 4 objectifs relevés en janvier 2019 sur le site éducation.gouv.
Nul doute qu’il y aura une mixité de genre. Les garçons et les filles seront « invités » à participer. Cependant, je n’ai pas trouvé de précision sur cette mixité. Seront-ils dans les mêmes sites ? Dans les mêmes bâtiments ? Les « maisonnées seront-elles mixtes ? les activités dans la journées seront-elles mixtes ?
Cependant, qui dit obligatoire pour tous dit aussi, pour tous sauf pour ceux qui ne peuvent pas participer. Là encore, l’histoire donne quelques explications. Lorsque l’instruction a été rendue obligatoire, elle a fait apparaître progressivement des catégories d’enfants ne pouvant être scolarisés.
Le service national n’est donc pas prévu comme universel ! Dès la page 15 du rapport, l’universalité du service est mise en question en prenant en compte de catégories spécifiques :
- pour certains jeunes en situation de « handicap mental, physique ou comportemental », suivant les possibilités d’intégration. Le rapport évoque l’idée que des fractions de contingents pourraient être « dirigées et encadrées par des instructeurs en situation de handicap ». Tous les locaux d’accueil seront-ils accessibles à tous les handicaps ?
- « Certaines fractions du contingent appelant un traitement spécifique » comme les jeunes en situation d’emploi, les jeunes de 15 ou 16 ans déjà chargés de famille, « les mineurs protégés ou sous main de justice ». Mais le traitement n’est pas spécifié ! ;
- les jeunes français résidant à l’étranger de manière permanente ;
- les mineurs étrangers vivant en France, dont les mineurs étrangers dont les parents sont en situation irrégulière. Le rapport ne cite pas, parmi les étrangers, les mineurs non accompagnés
Ces catégories sont développées dans l’annexe VI du rapport (p 67 et suivantes). Il est alors prévu et chiffré « des dérogations à caractère social » pour 2000 jeunes filles devenues mères (sauf si une autre personne puisse prendre en charge l’enfant), 40 000 jeunes français résidant à l’étranger (sauf à mettre en place un dispositif spécifique), un jeune en situation de handicap sur 2 pour cause de « handicap sévère » (soit environ 8000 jeunes).
Dernier élément qui n’existait pas encore, l’ « absence de participation volontaire » par conviction, refus d’autorité ou par désintérêt pour le SNU, estimé à « 3% de la cohorte globale, soit 24 000 jeunes ». Une note en bas de page précise « Evaluation réalisée par le comité de rédaction ». Autrement dit le rapport a été écrit par des gens qui pensent que 97 % des jeunes français vont être intéressés et motivés par le Service National Universel. C’est totalement surréaliste. Penser que 97 % des jeunes français de 16 ans veulent, pendant les vacances, se lever tôt pour chanter la marseillaise en regardant lever un drapeau avant d’aller apprendre à trier les déchets ! Il n’est pas étonnant que dans la bibliographie du rapport, il n’y a pas de livre qui traite de la jeunesse.
Je note aussi que les jeunes qui ont commencé à travailler et les mineurs protégés ne sont pas parmi les dérogations à caractère social. On compte donc les faire participer au SNU en étant encadré par des jeunes titulaires du bafa. Difficile de faire plus explosif.
Dans cette partie sur la mixité des publics, il n’est pas fait état de la mixité religieuse. Celle-ci est légèrement abordée dans le rapport (p33-34) mais dans le statut de l’appelé : « Notamment, en tant qu’appelé il sera totalement subordonné au respect du principe de laïcité. Alors même que le corrélat des sujétions qu’impose la présence obligatoire dans un milieu fermé a justifié la mise en place d’aumôneries (dans les forces, dans les prisons, dans les lycées), la brièveté du séjour et donc de la contrainte qu’il entraîne ne paraît pas appeler une mesure de ce type. On peut s’interroger sur les conditions dans lesquelles sera affirmée la traduction concrète du principe de laïcité par l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires : simple extension de la mesure existante en milieu scolaire, elle pourrait être favorisée par le port d’une tenue commune. »
La question est traitée très légèrement. L’interdiction du port de signes religieux n’a d’existence que dans les écoles publiques. Mais certains croyants sont scolarisés dans des écoles où les signes religieux sont mis en avant. Un uniforme ne fait pas disparaître tous les signes religieux (bagues, médailles, coiffures, tatouages…).
Tous les spécialistes des collectivités accueillants tous publics savent qu’il y a aussi le problème des repas. Certaines religions (et pas que les religions) imposent une alimentation spécifique. Cela sera-t-il possible au SNU ? Que faire des mineurs qui ne mangeraient pas ?
Enfin, l’absence d’aumôniers n’empêchera pas la demande de participer à des célébrations, de faire des prières… Cela sera-t-il possible ? Si non, cela exclut, si oui la religion sera visible.
Il serait bon que l’on ait un peu plus d’information.
Des locaux ?
Les locaux sont un réel problème. Depuis la fin du service militaire, l’armée a vendu une partie des casernes. L’état n’a pas les moyens de loger tous les jeunes de 16 ans, surtout qu’aux garçons accueillis durant l’ancien service militaire, il faut ajouter les filles. Cela explique aussi le temps court du service. La proposition du rapport était d’utiliser les casernes disponibles, mais aussi des internats et des centres de vacances. Il proposait aussi de construire des hébergements tout en notant que construire des bâtiments pour le S.N.U. alors qu’il y a toujours des personnes vivant en France sans logement… (rapport p 18). Le rapport ne fait pas état de locaux disponibles comme les anciennes colos aujourd’hui à l’abandon et que l’on pourrait réhabiliter.
Selon le site internet, « Les centres SNU sont des internats, des centres de vacances, des bâtiments du ministère des Armées, etc. et les appelés sont répartis en « maisonnées » (dizaine de jeunes) afin de renforcer la cohésion et la responsabilité collectives ».
Alors des internats aux colos, y a-t-il des normes identiques ? Les internats ont beaucoup évolués. Aujourd’hui ce sont souvent des bâtiments avec des chambres de 1 ou 2 lits avec des sanitaires collectifs (ce qui est bien compte tenu que certains jeunes y restent plusieurs années). Les chambres des colos varient et peuvent aller de 3 à 6 lits, parfois plus. Et c’est extrêmement différent d’être dans une chambre à deux ou dans un petit dortoir de 6. Quels seront les choix du ministère concernant les bâtiments ? Qu’est-ce qui sera mis en avant ? Qui adaptera la pédagogie du service ?
Il reste quand même que les internats sont occupés durant la période scolaire et que les colonies le sont durant les vacances. Comment alors organiser des séjours supplémentaires qui seraient dans l’un ou l’autre, voire une semaine dans chaque ? Le Ministère souhaite-t-il continuer à fermer les colos pour qu’elles puissent mieux accueillir les militaires ?
Les jeunes seront regroupés en « Maisonnée » d’une dizaine de jeunes sous l’autorité d’un tuteur. Il est amusant de voir comment nait un vocabulaire particulier. Cela a été le cas de nombreux mouvements de jeunesse comme le scoutisme (avec ses patrouilles et son chef de patrouille). Les bâtiments seront-ils choisis afin de mettre les jeunes par Maisonnée (et donc un découpage des chambres correspondant au nombre des membres) ?
Il reste encore à traiter de l’adaptation des locaux aux nouvelles normes et surtout à l’accueil des personnes en situation de handicap. Dans le cadre de l’égalité annoncée, il faudrait que l’ensemble des locaux soient accessibles. Est-ce possible ? Ne risque-t-on pas d’avoir des lieux d’accueil spécifiques pour certaines catégories de jeunes ?
Un uniforme appelé tenue pour montrer la laïcité
Dans le rapport, on peut lire : « On peut s’interroger sur les conditions dans lesquelles sera affirmée la traduction concrète du principe de laïcité par l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires : simple extension de la mesure existante en milieu scolaire, elle pourrait être favorisée par le port d’une tenue commune. Ce terme est en effet préférable à celui d’uniforme pour bien marquer que le service national universel n’est pas un service militaire rétabli. Sans ignorer les réticences qu’elle peut créer, elle présente de nombreux avantages. Elle assure d’abord que chacun disposera des effets nécessaires à la phase initiale. Elle permet d’évacuer tout débat sur ce qui constitue une tenue adéquate (ou « digne », ou « neutre » ou « décente »…). Elle gomme les appartenances religieuses mais aussi sociales et supprime toute discrimination à raison des ressources de la famille. C’est dire qu’elle devrait être rendue obligatoire, mais aussi être remise – car son coût serait à défaut un obstacle. »
Ce qui est intéressant, c’est qu’alors que l’on n’hésite à parler d’uniforme pour les écoles, là, l’Etat se limite à une tenue, reprenant alors le vocabulaire de certains mouvements scouts. Ceci étant, quelle est la différence ? Juste que l’uniforme ferait penser à l’armée mais pas la tenue ? Voilà une réflexion d’expert.
Mais est-ce que l’uniforme, pardon la tenue, gomme tous les signes d’appartenance religieuse ? Est-ce les ressources de la famille n’apparaissent pas dans des « détails » ? Qu’en sera-t-il des bijoux, des montres, des lunettes de soleil, des tatouages, des coiffures…
Il faut alors penser à l’hygiène. Qui va s’occuper des nettoyer les uniformes ? et les autres vêtements et sous-vêtements, qui va s’en occuper ? L’Etat va-t-il fournir aux jeunes un teeshirt propre par jour ? Sinon, les jeunes auront-ils la possibilité de faire leur lessive ?
De plus, on peut se demander : qu’en sera-t-il des repas ? Va-t-on, comme dans certaines cantines scolaires, regrouper les « sans porcs » ? Va-t-on interdire les prières ? Non, les jeunes ont des différences. Il vaut mieux apprendre à vivre ensemble en étant différents plutôt que de faire croire qu’on est tous pareils.
Il serait bon, quand on se prépare à dépenser plus d’un milliard par an, à donner des informations plus complètes.
Le contenu
Au cours du séjour de cohésion (les deux premières semaines en internat), les activités sont divisées en deux « blocs » principaux : des modules de formation et un ensemble de bilans.
Les Modules de formations sont articulés autour de sept thématiques :
– « Défense, sécurité et résilience nationales. Exemple : sécurité routière et code de
la route. Sensibilisation à la perception des risques routiers.
Intervenants : gendarmes.
– Autonomie, connaissance des services
publics et accès aux droits. Exemple : connaissance des principaux
services publics, études de cas concrets, organisation de visites (centre des
impôts, mairie, etc.). Intervenants : fonctionnaires territoriaux.
– Citoyenneté et institutions nationales et européennes. Exemple : sensibilisation aux valeurs (liberté, égalité, fraternité) et au modèle républicain, laïcité, égalité femmes/hommes, connaissance des droits et devoirs, etc. Intervenants : encadrement du centre et/ou intervenants extérieurs (fonctionnaires territoriaux, associations, etc.)
– Développement durable et transition écologique. Exemple : visite de sites (tri des déchets, etc.), études de cas contextualisés. Intervenants : agents communaux, associations.
– Activités sportives et de cohésion. Exemple : étude de cas sur le rôle de l’arbitre, l’univers des supporters, la lutte contre le hooliganisme. Intervenants : arbitres, fédération sportives, éducateurs sportifs.
– Culture et patrimoine. Exemple : découverte du patrimoine culturel local, visite d’un site culturel et restitution collective. Intervenants : direction régionale des affaires culturelles, professeurs documentaliste ou d’histoire-géographie volontaires, etc.
– Découverte de l’engagement. Exemple : sensibilisation aux différentes formes d’engagement, « forum de l’engagement ». Intervenants : jeunes bénévoles et volontaires dans les différentes formes d’engagement existantes (témoignages et rencontres en petits groupes), visites dans des structures d’accueil ».
Les différents bilans sont des bilans personnels : « bilan de santé, évaluation des apprentissages fondamentaux de la langue française, premier bilan-découverte de compétences incluant une composante numérique. Exemple : test d’évaluation des apprentissages fondamentaux de la langue française ; bilan compétences numériques et de première orientation professionnelle ; bilan de santé. Intervenants : encadrement du centre, fonctionnaires territoriaux, associations d’insertion, personnel médical, etc. »
M. Attal donne sur le site de l’éducation nationale des compléments d’information sur les activités : « Et pour les activités ? D’une part, des formations aux premiers secours, des ateliers sur les valeurs républicaines ou sur la protection environnementale. De l’autre, des parcours dans la nature, des courses d’orientation ou des franchissements d’obstacles seront au programme. Enfin, des bilans de maîtrise du français, de santé et des points d’orientation professionnelle seront proposés aux jeunes. »
Avec une telle liste d’activités, il est difficile de traiter chaque item. Je vais donc en choisir quelques-uns, parmi les plus faciles à critiquer (bien sûr).
Il est difficile de ne pas y voir une critique ouverte de l’enseignement, surtout du collège. Bien des activités énoncées ont déjà été abordées par la majorité des jeunes, puisqu’intégrées dans l’instruction obligatoire de 6 à 16 ans, comme la prévention routière (avec ou sans gendarmes), la connaissance des services publics, la connaissance des institutions nationales et européennes, la culture locale…
Il y a ensuite les activités classiques de la colo comme l’environnement (on peut dire que les animateurs ont été parmi les premiers à faire du recyclage, notamment avec les activités manuelles), la découverte du milieu (qui a dû commencer dans l’entre-deux-guerres, notamment avec les promenades Desfontaines), les activités sportives (les jeux d’équipes, les jeux collaboratifs…)…
Il y a enfin quelques activités comme le secourisme. Régulièrement on propose qu’il soit abordé à l’école. Pourquoi le faire ailleurs. Si c’est si important (ce que je pense) pourquoi ne pas le faire au collège (dès 12 ans) ?
Il est prévu beaucoup de visites (administrations, musées..) et de nombreux intervenants. Est-il prévu que les structures d’accueils soient dans des villes ? Sinon il faudra organiser des déplacements ce qui nécessite des bus. Et de nombreux coûts de déplacement pour les intervenants. Viendront-ils pour chaque contingent ? Seront-ils payés ? Indemnisés ?
Le service national est aussi présenté comme un centre de bilans. Nul doute qu’il y a là un rappel de l’article « du rôle social de l’officier » suite à la mise en place du service national à la fin du XIXè siècle (article de celui qui est devenu plus tard le Maréchal Lyautey). En fait, lorsque tous les jeunes hommes de France ont commencé le service national (c’était avant les lois sur l’instruction obligatoire), des officiers se sont rendu compte que de nombreux appelés ne savaient pas lire. Il y a alors eu une réflexion dans l’armée sur l’aide que les cadres pouvaient leur donner en utilisant le temps disponible.
Nous devrions être loin de cette situation. Le service national universel doit avoir lieu l’année qui suit la fin de l’instruction obligatoire. Comme tous les jeunes scolarisés sont fichés depuis la maternelle, il n’est pas difficile d’identifier les jeunes décrocheurs, d’autant plus que les enseignants ont vu progressivement les jeunes de détacher. Pourquoi ne pas mettre en place des liens entre l’école, les équipes de prévention spécialisée, les familles (ce qui existe déjà, mais pas partout)… Rappelons que les décrocheurs sont trop nombreux et qu’il serait bon de proposer des dispositifs de formation adaptés (il y a eu, dans les années 92-94, un dispositif très efficace, la Préparation active à la Qualification et à l’emploi, arrêtée par manque de moyens et malheureusement pas citée par les auteurs du rapport, qui se limitent aux actions de l’armée et d’Unis-cités, ce qui est léger au vu du nombre d’organismes de formation).
Enfin, on prévoit un bilan de santé. Ce serait surement nécessaire pour certains jeunes alors pourquoi ne pas l’intégrer dans la scolarisation (et le faire à 15 ans). Cela éviterait d’oublier les jeunes qui ne feront pas le service national universel.
C’est sans doute pour ne pas faire allusion aux colos qu’il n’y a rien sur les temps de loisirs. Les jeunes ne vont pas être en activité du lever au coucher pendant quinze jours. Comme à la caserne, il y aura bien des moments de « temps libre ». Qui sera responsable ? Qu’est-ce qui sera proposé ? Comme au service militaire, des soirées fortement alcoolisées dans des espaces organisés par l’encadrement ? Les jeunes auront-ils accès au cinéma, à la télévision ? Y aura-t-il la 4G ?
La pédagogie
Depuis plusieurs gouvernements, on a l’habitude d’entendre que si les gens ne comprennent pas les réformes, c’est parce que l’on n’a pas fait suffisamment de pédagogie (dans un monde où même « les radars sont pédagogiques »). Curieusement, dans ce dispositif nouveau qui veut apprendre aux jeunes, le mot pédagogie semble oublié. Alors, concrètement comment va-t-on faire passer certains contenus ? Dans quel Climat ?
Il ne suffit pas d’imaginer un dispositif pour qu’il fonctionne. Encore faut-il réfléchir sur l’organisation relationnelle et fonctionnelle. Pour les animateurs Bafa, cela est précisé dans le projet pédagogique (c’est d’ailleurs obligatoire pour les colonies de vacances). Alors qu’en sera-t-il dans ces centres ? Il s’agit quand même de faire travailler ensemble des spécialistes de la défense avec des spécialistes des vacances !
Prenons un exemple, un jeune qui ne voudrait pas participer (ou ne pas se lever). Pour l’animateur Bafa, il va essayer de le persuader, de l’encourager, de le motiver. Ceci étant, si le jeune ne veut toujours pas participer, il va lui être proposé de mettre fin au séjour. Car participer à une animation socioculturelle est toujours volontaire. Par contre, au service militaire, celui qui ne voulait pas participer était de suite sous la menace d’une sanction (épreuve physique en plus, suppression des permissions, utilisation du groupe pour faire pression, emprisonnement, prolongation du temps de service…). Alors que va-t-il arriver au jeune qui un matin va refuser de se lever ? C’est ce qui devrait être précisé avant l’expérimentation. D’ailleurs quels seront les critères de recrutement des animateurs ? Quelle sera la fiche de poste ? Qui sera l’employeur ?
Afin d’obtenir une cohérence pédagogique, c’est-à-dire afin que l’ensemble des responsables puissent avoir des réponses proches et ne s’opposant pas, il faut que les cadres se mettent d’accord sur différents items. Les points qui devront être abordés sont nombreux. Quelles chansons va-t-on chanter le soir ? Maxime le forestier ou des chansons à boire ? Les téléphones portables seront-ils autorisés ? Que pensera l’encadrement des films réalisés et diffusés en direct avec les mêmes téléphones portables (à moins que les téléphones soient interdits au nom de l’égalité vestimentaire)… Et si un jeunes ne veut pas participer, ou ne peut pas ?
Est-ce un dispositif pertinent ?
Nul doute que l’on trouve dans ce dispositif toutes les idées, toutes les propositions qui ont déjà été faites pour la jeunesse. Certaines ont déjà été mises en place partiellement et la généralisation pourrait être profitable. Cependant, il semble que pour chacune, il serait possible de faire autrement :
- l’apprentissage de la collectivité et la rencontre des autres sont essentiels dans l’apprentissage du vivre ensemble. Mais il existe de nombreuses autres façons de faire comme les colonies de vacances ou des classes de découvertes, que l’Etat pourrait aider, voire faciliter afin de permettre à chaque enfant de faire plusieurs séjours ;
- il est souhaitable que chacun ait une formation en secourisme, c’est évident. Alors cela devrait être abordé au collège avec un rappel au lycée ou en C.F.A., et des rappels encore sur le lieu du travail… on pourrait l’aborder à d’autres moments que durant le service ;
- la protection routière est aussi importante, c’est pour cela qu’il y a des exercices en primaire et au collège (et après il faut un permis pour conduire, avec un code que ‘on peut passer à 15 ans), alors à quoi cela sert durant le SNU ? ;
- enfin la question de l’échec scolaire est trop grave pour s’en service comme alibi. Il faut que les établissements scolaires, les centres de formation, les services sociaux, les missions locales… travaillent ensemble afin de limiter la durée du décrochage.
Quant à l’argument sur l’engagement, c’est assez surprenant. L’argument de M. Attal est « Or, si une écrasante majorité des jeunes veulent s’engager, ils sont trop nombreux à être freinés, pour des raisons financières, sociales, géographiques, culturelles. Notre pays ne montre pas suffisamment à ses jeunes leur utilité sociale ». Comment penser que c’est en rendant l’engagement obligatoire pour les jeunes que les difficultés énoncées vont être supprimées ? S’agit-il du même engagement ? N’y a-t-il pas au contraire des études qui démontrent que les difficultés d’engagement sont dues au caractère très ponctuel de l’engagement des jeunes et que certaines missions nécessitent du long terme ?
Tel quel, ce ne sera pas un dispositif pertinent. Il y a beaucoup trop de points qui ne se justifient pas et des objectifs inatteignables. Vouloir mettre tous ces points ensemble, les « traiter » en 2 semaines (même si après on ajoute une « mission sociale ») pour tous les jeunes quel qu’ils soient et avec les moyens en personnel annoncés (qui ne correspond pas) n’est pas réaliste.
Alors est-ce que cela va fonctionner ?
La phase d’expérimentation va être une réussite. Vous prenez quelques jeunes motivés, vous mettez une bonne équipe d’encadrants, vous leur donnez des moyens et vous pouvez décrocher la lune. L’exemple le plus connu est celui de Baden-Powell, fondateur du scoutisme, qui a organisé, en 1907, un camp afin de tester sa méthode. Le camp a été une réussite, Baden Powell a diffusé sa méthode puis a créé l’organisation scoute internationale. Le scoutisme est maintenant présenté comme le plus grand mouvement éducatif au monde. Ceci étant, en France, comme dans de nombreux pays, la méthode scoute ne concerne que peu de jeunes, il est probable qu’elle ne fonctionne pas avec tous (malgré de nombreuses expériences, pour les catégories populaires).
La phase d’expérimentation du SNU devrait donner des informations intéressantes :
- sous quelle forme vont être déclarés ces séjours (il s’agit bien de regroupements de mineurs pour une durée de 12 ou 15 jours pendant des périodes de vacances ou en partie pendant les vacances) ? ;
- qui va être responsable en cas de problème (en espérant bien sûr qu’il n’y en ait pas) : l’Etat, les jeunes, les parents, un autre intermédiaire comme des structures associatives ? ;
- quel sera le profil des encadrants : part de militaires (et grade) et d’animateurs (et qualification). Ce profil sera-t-il reproductible pour tous les futurs séjours ? ;
- qu’on fait ces jeunes durant 12 jours ? ;
- quel est l’uniforme choisi, quel sens faut-il lui donner ? ;
- quel aura été le profil des jeunes choisis ? ;
- comment aura été organisée la mixité, avec quelles limites ? ;
- qu’est-ce que les jeunes auront fait durant les temps de loisirs et les soirées ? ;
- comment aura été organisé le lavage du linge et des uniformes ? ;
- les locaux utilisés permettaient-ils l’accueil de tous les handicaps ?
- qui en fera l’évaluation ? Sera-t-elle, comme pour l’étude préalable, confiée à l’armée ?
On aura aussi des réponses aux nombreuses autres questions parsemées dans ce texte.
Par contre, pour l’évaluation des objectifs éducatifs (à différencier des objectifs immédiats), il faudra attendre un moment, probablement plusieurs années. Comment évaluer « la culture de l’engagement » sans attendre de voir si les jeunes devenus adultes s’engageront ?
Ceci étant, le dispositif porte en lui-même les causes de l’échec, causes dont on va retarder le plus possible la diffusion, à moins que le dispositif ne disparaisse, au prochain changement de Président de la République et sans phase d’évaluation, comme cela a été le cas pour les rythmes scolaires !
Tel qu’il est prévu aujourd’hui, le dispositif va échouer car :
- le personnel prévu n’est pas adapté à la situation. Il est non formé (le Bafa est très largement insuffisant) et n’existe probablement pas (ou trouver des animateurs occasionnels en dehors des périodes de congés ?) ;
- l’obligation du service national universel est une vraie contrainte dans un pays où l’école ne l’est pas ! Qui peut croire que l’on mettra ensemble le plus riche et le plus pauvre, le plus aidé et le plus en difficulté, les enfants du CRS et ceux du Gilet jaune, qu’il n’y aura pas de dispenses (rappelons-nous que certaines sont déjà prévues !) ?
- 16 ans c’est tard, pour les jeunes qui ne seraient jamais partis en collectivité. Il faut apprendre à vivre ensemble plus tôt, sinon on risque plutôt d’apprendre comment s’en sortir quand on est dans un groupe (par exemple en en devenant le chef !) ;
- 15 jours c’est bien trop court s’il faut « inculquer » des valeurs éducatives. Les mouvements de jeunesse fonctionnent en suivant des jeunes toute l’année, le camp d’été n’étant qu’un temps fort ;
- Ce qui importerai, pour atteindre les objectifs annoncés, ce serait de faire (et de réussir) ensemble. Cela peut se faire en internat comme en externat, cela nécessite surtout d’autres approches éducatives et d’autres activités. On peut apprendre à connaitre les autres, à être solidaire, par exemple, en faisant un spectacle (si l’objectif n’est pas simplement la réalisation d’un spectacle).
Une dernière évidence, le « service » ne pourra pas atteindre tous ses objectifs, qui seraient portant tous atteignables… mais autrement. On pourrait probablement obtenir le même résultat, voire surement mieux, en aidant les enfants, tous les enfants, à partir en séjours de vacances (colonies) et en classes transplantées.
Je ne peux qu’inviter les personnes
ayant des enfants de 10 à 14 ans à se soucier rapidement des choses avant
qu’ils soient obligés d’y envoyer leurs enfants.
[1] Rapport relatif à la création d’un service national universel présenté le 26 avril 2018. Le rapporteur était le Général de division Daniel Ménaouine.
[2] Il est secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’éducation Nationale et de la Jeunesse, pas de la défense.