Il semblerait que les colos soient au plus mal. Elles disparaissent de plus en plus vite. Dans les Alpes-Maritimes, en 2014, il y en a eu autant qu’en… 1940 (et en plus, elles ont duré moins longtemps !). Et en 2015, il y a encore eu des fermetures de colonies dont deux existaient depuis les années 20.
La situation est catastrophique pour les colos. On entend toujours les mêmes arguments :
- les enfants ne veulent plus partir en colonie de vacances (ou en séjours !) ;
- les parents n’ont pas confiance dans les centres (accidents, pédophilie…) ;
- les séjours sont trop chers (à cause des salaires et des normes) ;
- les normes changent trop souvent et coûtent cher aux organisateurs ;
- il y a d’autres types de vacances (en famille ?) ;
- les parents préfèrent que les enfants aillent à l’accueil de loisirs (lequel ferait une concurrence aux colos en organisant des mini-séjours) ;
- …
Tout cela pourrait être justifié… si l’histoire et les faits ne contredisaient pas ces affirmations.
Je pense que la première entrée doit être celle des vacances. Au niveau des mots, c’est ce qui est resté (colonies de vacances, centres de vacances, séjours de vacances). Si les enfants partaient tous en vacances avec leurs parents, alors oui, les colonies pourraient disparaître au profit des accueils de loisirs. Hélas, ce n’est pas le cas. Au contraire, il y a moins d’enfants qui partent en vacances en famille. On constate que certains enfants passent les deux mois d’été dans des centres de loisirs (et pas de vacances). Et comme ces centres sont souvent dans les écoles, on a des enfants qui passent les deux mois de vacances… sur leur lieu de travail (l’école). Comment peuvent-ils alors être prêts à entamer une nouvelle année scolaire. Quels sont les salariés qui passent leurs vacances sur leurs lieux de travail (quitte à y faire des activités différentes) ? Peut-on imaginer nos députés restant sur les bancs de l’assemblée nationale durant le mois d’août pour faire des activités manuelles ? Il est nécessaire de défendre le droit aux vacances, y compris pour les enfants et même surtout pour les enfants. Ne devrait-on pas donner un chèque de réduction (sous une forme ou une autre) pour s’inscrire en colo à tout enfant passant plus d’un mois et demi en centre de loisirs ?
Pour reprendre les éléments ci-dessus, il me faut faire un détour par l’histoire des colos. On pourrait dire qu’il y a eu deux sortes de colos :
- la première est d’ordre sanitaire et social. Il s’agit de permettre aux enfants de vivre au bon air, avec une nourriture saine. C’est le fameux « Grandir et grossir ». Ces colonies ont commencé par du placement familial, avant de devenir collectives. Elles ont été initiées par les mouvements protestants ;
- la deuxième porte sur l’éducation de l’enfant dans son ensemble. La colo n’est pas un moment limité, mais s’inscrit dans une continuité. C’est parce que je m’occupe des enfants toute l’année que je continue à le faire pendant ses congés. Là les colonies ont été portées par des mouvements laïques (proches des écoles), puis par des catholiques (organisateurs de patronages), puis encore par des organisations politiques.
Les colonies, comme les patronages, avaient alors pour but de préparer l’enfant à demain, dans un monde tel que l’organisateur le prévoyait.
Bien sûr, chacun s’est inspiré de l’autre, tout en le critiquant, histoire de montrer ses différences (ça c’est l’histoire de l’animation dans son ensemble : je me défini à partir de l’autre, ou plutôt contre ce que j’imagine de l’autre).
Une troisième sorte de colos apparaît après la Seconde-guerre-mondiale. Elle est portée par les comité d’entreprises qui, tout en maintenant un lien avec le public (les parents se connaissent et connaissent les élus qui vont organiser le séjour), vont apporter une référence aux activités pour différencier les différents séjours qu’ils proposent.
L’élément qui va changer cette distribution sera la réglementation sur les centres aérés en 1960. Les organisateurs historiques (2ème sorte de colos) vont devoir abandonner l’éducation des enfants, telle qu’ils la concevaient au profit de la municipalisation des patronages (devenus centres aérés).
L’incidence immédiate sera une séparation entre les organisateurs de colos et les organisateurs de loisirs quotidiens. De nombreuses associations vont vouloir continuer les colos (elles sont souvent propriétaires des locaux) tout en ayant renoncé à encadrer les enfants le reste de l’année. Il va falloir alors communiquer sur la colo pour avoir des inscrits. Et pour se différencier des autres, les organisateurs vont s’appuyer sur la troisième sorte de colos et proposer des activités à la place des valeurs éducatives.
Cette organisation a permis à certains organisateurs de se maintenir. Mais très vite on a assisté à une diminution du nombre de départs, alors on a écourté les séjours (qui d’un mois passent maintenant à une semaine), on a développé les séjours pour les ados (ce qui a caché la perte de départ des 6 – 12 ans), on a ajouté des activités (ce qui augmentait le coût du séjour)…
Les colos ont perdu les aides financières. En s’éloignant des loisirs quotidiens, certaines colos se sont éloignées des Caisses d’Allocations Familiales qui maintenant ne traitent quasiment plus qu’avec les municipalités pour financer les loisirs. Un salarié au SMIC ne peut pas financier seul un séjour pour son ou ses enfants.
Et les colos coûtent de plus en plus cher :
- on a une surenchère d’activités dont certaines, nécessitant personnel qualifié et matériel spécifique sont sous-traitées (et pas forcément utiles pour les enfants) ;
- les frais de siège augmentent pour financer le salaire des permanents (et les locaux, le matériel…). Ces frais peuvent représenter 20% du séjour ;
- Les catalogues et autres frais de communication et d’inscriptions représentent eu aussi une part importante du coût du séjour (de 10 à 15 %) ;
- le coût des locaux est difficile à assumer si le centre ne fonctionne que quelques mois dans l’année ;
- il n’y a plus d’autofinancement (quêtes, vente de calendriers (ou timbres, autocollants…), collectes diverses, bénévolat…) ;
- …
La classe moyenne a déserté les colos. Mais ce n’est pas un choix. En fait, avec l’augmentation du coût des colos, seuls peuvent partir ceux qui ont des moyens importants et ceux qui bénéficient d’aides (personnes en fortes difficultés sociales, salariés bénéficiant d’un comité d’entreprise).
Quant à l’envie des enfants de partir en colo, elle ne pourra exister que si l’enfant sait où il part, avec qui et pourquoi faire. Il serait donc intéressant que les enfants se rencontrent avant le séjour, en ayant un temps (ou plusieurs) où ils rencontreront les autres enfants et surtout l’équipe qui va les encadrer. Ils pourront aussi savoir ce qu’ils vont faire, ou mieux encore, participer aux choix des activités.
Que faire pour relancer des colos ?
C’est tout le sens de cette page. Voilà quelques idées qui pourraient permettre de relancer des colos… dans l’esprit de la deuxième sorte (telle que je l’ai présentée) :
Au niveau de l’Etat et des collectivités territoriales :
- inscrire dans la loi un droit aux vacances pour les enfants (comme c’est le cas pour les salariés) et, de fait, différencier le loisirs des vacances ;
- stabiliser les normes concernant les équipements, voire les assouplir pour les centres non permanents ;
- formaliser un statut clair pour les personnels ;
- imposer des tarifs de transports raisonnables et non fluctuants (SNCF notamment) ;
- aider les organisateurs financièrement au lieu de ne faire que des aides à la personne (afin de baisser le coût du séjour pour tous) ;
- verser à l’organisateur du séjour le montant qu’aurait coûté l’enfant si celui-ci avait été dans un centre de loisirs (Maire, C.A.F.) ;
- imposer aux C.A.F. d’aider les parents à financer les colos en tenant compte d’un rapport raisonnable entre les revenus et le coût du séjour (et non n’aider que les personnes les plus en difficultés). Il faudrait aussi que chaque colonie recevant des publics non favorisés puisse obtenir une aide pour le fonctionnement global.
Au niveau des organisateurs :
- se recentrer sur un territoire et y recréer des activités à l’année (pas forcément un accueil de loisirs) afin que parents et enfants connaissent la structure et le personnel des séjours ;
- faire que le personnel à l’année soit celui qui encadre la colo ;
- limiter par ce système les charges annexes (communication, frais de siège…) ;
- revoir la communication sur les séjours en expliquant ce que les enfants vont faire, mais aussi pourquoi.
Pour aller au fond de ce sujet, il me faudrait plusieurs pages. Je reprendrai certains points qui méritent un développement dans les mois à venir.
On pourrait ajouter d’autres idées, mais ce ne serait pas raisonnable. Tout cela prendra quelques années, mais attendre la fin des colos sans rien faire ne m’est pas envisageable.
Eric Carton